La manufacture de faïence de Chigny
(XVIII - XIX siècles)
par René GANDILHON
Conservateur en chef,

Directeur des Services d'Archives du département de la Marne, Président
Extrait des mémoires de la sociéte d'agriculture, commerce, sciences et arts de la Marne
1967

Chigny, petite localité distante de Reims de deux lieues, est citée dans quelques ouvrages consacrés à l'histoire de la faïence française, comme étant un centre de fabrication céramique remontant vers 1790 ou autrement exprimé à la fin du XVIII siècle. L'auteur le mieux informé reste Gerspach qui, ayant retrouvé un document intéressant pour l'histoire de cette fabrique, complète sa notice en signalant l'existence de deux objets qui lui sont attribués avec certitude.

Procédant à de vastes dépouillements tant de minutes de notaires, de registres paroissiaux et d'état civil que de registres d'hypothèques et d'enregistrement, d'archives judiciaires ou civiles, nous nous sommes efforcé d'éclaircir l'origine, le fonctionnement et la disparition de cette fabrique, regrettant cependant que nos recherches aient été maintes fois entravées par la perte de documents détruits, au cours des XIX et XX siècles, par les guerres dévastant, à plusieurs reprises, le territoire du département de la Marne.

C'est le 10 août 1777 qu'un sieur Pierre Bonhomme, épicier chandelier de Reims et Jean-Baptiste Roussel, natif de Paris, son associé, manufacturié de fayance, privilégiés du Roy et protégés de Mesdames de France conclurent devant un notaire de Rilly-la-Montagne un bail de neuf années avec un tonnelier de Chigny, Thomas Quenardelle. Moyennant un loyer annuel de 115 livres, le propriétaire mettait à la disposition de ses locataires un corps de logis sis à Chigny dans la rue du Chaufour, près de la fontaine publique, composé au rez-de-chaussée de deux grandes pièces et au premier étage de trois pièces et un grenier. Les preneurs avaient également le droit d'usage d'une cour et d'un jardin dans lequel ils avaient permission de faire construire tel four qu'ils jugeraient convenable pour la cuite de leur fayance. Ils pouvaient également en en déduisant le prix de la première échéance de leur loyer faire faire le plancher du grenier en planche de sapin et même faire ouvrir d'autres croisées dans le dit bâtiment. Un mois plus tard les associés achetaient cent anneaux de bois pour 800 livres, ce qui laisse à supposer que les travaux d'aménagement de la manufacture avaient été poussés activement et que l'œuvre pouvait commencer.

Que connaissons-nous des deux associés ? . Peu de chose en réalité. Jean-Baptiste Roussel que l'on sait être manufacturier privilégié du Roy et protégé de Mesdames de France, filles de Louis XV, était originaire de Paris; il avait épousé, avant son arrivée à Chigny, Nicolle Félicité Char, alias Chard ou Charre, dont il eut pendant son séjour en Champagne trois enfants : Marie-Françoise - Perrette (1 novembre 1777), René - Antoine (4 décembre 1778) et Mathias. Il est intéressant de noter que le parrain du premier fut son associé Pierre Bonhomme et la marraine Marie Chevalier, épouse d'un marchand de faïence parisien, et celui du second un marchand de bois, René Brunet. Lui-même est dénommé dans les actes marchand manufacturier de fayence, Maistre manufacturier en fayence, directeur de la manufacture de fayence de Chigny, puis lors de la dernière année de son séjour Maistre fayencier.

Doit-on rapprocher ce personnage de celui dont nous trouvons mention, en 1783, en qualité d'architecte de Louvois dans les comptes du château voisin de Louvois, propriété de Mesdames de France. Nous l'ignorons.

De Pierre Bonhomme, son associé, nous savons qu'il était d'origine rémoise, marchand épicier ou marchand chandelier, qu'il était né dans cette ville vers 1725, étant mort en 1792, âgé de 67 ans, et qu'il eut cinq enfants de son épouse Jacqueline-Angélique Barré. Il vécut sur la paroisse Saint-Denis et il semble bien qu'on doive voir en lui un capitaliste, d'ailleurs peu chanceux, plaçant ses fonds dans une affaire industrielle.

Quoiqu'il en soit, les deux associés lorsqu'ils s'adressèrent le 17 juillet 1778 au Roi et à son Conseil, pour obtenir le droit et privilège de prendre dans les communaux de Chigny, terres, vignes et bois indivis entre le Roi et la Communauté, les terres propices et nécessaires à la fabrication d'une faïence commune qui résiste au feu, étaient plein d'espérance dans l'avenir de leur entreprise. Ils avaient effectué maintes épreuves et obtenu une faïence commune de grande solidité et d'un prix modique. Ils en avaient également confectionné des creusets dans lesquels ils avaient fondu du plomb et même calciné du cuivre. Il s'agissait donc d'une entreprise qui ne pouvait qu'être très avantageuse au public.

La manufacture, tel est le terme employé dans les documents de l'époque, fonctionnait assurément puisque, outre Jean - Baptiste Roussel, les registres paroissiaux de Chigny nous ont conservé les noms de François Renault, tourneur en fayance, qualifié également de potier de terre et de Jean-Pierre Allard, faïencier. Ce dernier avait probablement, dirions-nous de nos jours, effectué un apprentissage accéléré, car originaire de Chigny, nous le voyons qualifié, les années antérieures, de manouvrier, de brandevinier et même de milicien pour la Champagne.

En l'absence de documents commerciaux, on ne peut affirmer que ces deux ouvriers constituaient à eux seuls le personnel de la manufacture, mais on ne devra pas perdre de vue que le peu d'étendue des locaux ne permettait pas l'emploi d'une main-d'œuvre nombreuse.

Peu après, le 7 novembre 1778, Pierre-Nicolas Bonhomme dépose son bilan au greffe des Consuls de Reims, entraînant Jean-Baptiste Roussel dans une faillite dont les créanciers désignèrent Me Detable, notaire à Reims, et Millet, marchand de bois à Ludes, comme syndics. Le Directeur de la Manufacture de Chigny devait s'estimer lésé par son associé, puisque le 4 février 1779 il charge Me Petizon, procureur au bailliage, de poursuivre une instance contre Pierre Bonhomme. Nous en ignorons le résultat et nous n'entendrons plus parler de Jean-Baptiste Roussel après que, le 14 mai 1779, le collège des créanciers eut cédé la maison, les effets, propriété et outils de la manufacture au sieur Nicolas Vautrin, manufacturier de fayence au Bois d'Epense près de Sainte-Menehould, moyennant 2 400 livres dont 1 600 livres pour les effets et outils.

Ainsi s'achevait la première période de la Manufacture de Chigny dont nous n'avons pu reconnaître les productions parmi les faïences conservées dans la région.


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